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Entre ces noires mains je mets ma liberté ;
Moi qui fus invincible à toute autre Beauté,
Une Maure m’embrasse, une esclave me dompte.

Mais cache-toi, soleil, toi qui viens de ces lieux
D’où cet astre est venu, qui porte pour ta honte
La nuit sur son visage, et le jour dans ses yeux.


C’est tout à fait élégant ; mais comme relief il y avait bien mieux à faire. Témoin la Nigra de M. Jules Lemaitre qui n’est pas un chef-d’œuvre, mais qui est vraiment un morceau distingué comme vision. La couleur d’abord y est absolument trouvée, et puis aussi la ligne, le mouvement serpentin qu’il fallait rencontrer. Ce que Tristan cherche, lui, pour sa fin de sonnet, c’est une antithèse ; nous aimons mieux autre chose.

Tristan a fait, comme tous les poètes de son temps, je crois, une Belle Matineuse. J’en parlerai à propos de Malleville. Aujourd’hui je ne veux citer que le pendant qu’il a donné à sa Belle Matineuse, à savoir La Belle Crépusculaire. Elle est tout à fait jolie, à mon avis, entièrement dans le goût du temps, bien entendu : ce n’est ni du sentiment ni de la couleur, mais c’est de l’esprit agréable dans un tour très heureux

Sur la fin de son cours le soleil sommeillait
Et déjà ses coursiers abordaient la marine,
Quand Élise passa dans un char qui brillait
De la seule splendeur de sa beauté divine.

Mille appas éclatants qui font un nouveau jour
Et qui sont couronnés d’une grâce immortelle.
Les rayons de la gloire et les feux de l’amour
Éblouissaient la vue et brûlaient avec elle.

Je regardais coucher le bel astre des cieux
Lorsque ce grand éclat me vint frapper les yeux,
Et de cet accident ma raison fut surprise.