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tains athées ont pour principal mobile moral leur athéisme même, tant ils sont jaloux de prouver qu’un athée peut être homme de bien et à quel point il peut l’être. Seulement, à se détacher du Christianisme de cette façon-là, il arrive ceci qu’on est chrétien plus que jamais, et, plus que jamais propagateur et vulgarisateur du principe chrétien ; et cette ombre du Christianisme, c’est le Christianisme encore qui plane sur le monde ; et ce résidu du Christianisme en est l’essence.

Voyez bien la suite des choses : « Plus on se séparait des dogmes, plus on cherchait, en quelque sorte, la justification[1] de cette séparation dans un culte de l’amour de l’humanité. Ne point rester en arrière en cela sur l’idéal chrétien, mais surenchérir[2] encore sur lui, si cela est possible, ce fut le secret aiguillon des libres penseurs français depuis Voltaire jusqu’à Auguste Comte ; et ce dernier, avec sa célèbre formule morale « vivre pour autrui », en effet surchristianise[3] le Christianisme. Sur le terrain allemand, c’est Schopenhauer, sur le terrain anglais, c’est J. Stuart Mill qui ont donné la plus grande célébrité à la doctrine des affections sympathiques et de la pitié ou de l’uti-

  1. Souligné par Nietzsche.
  2. Id.
  3. Id.