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supprimer les passions, ou de les avoir, en les détournant de leur but, rendues plus mauvaises et aussi plus séduisantes et plus corruptrices. Le Christianisme a prétendu supprimer l’ambition, qui est le plus naturel et le meilleur des sentiments humains, qui est « la volonté de puissance. » Mais la volonté de puissance, détournée seulement de son cours, s’est revanchée, et elle est devenue la volonté de conquérir le ciel ; et elle a rejeté l’homme dans la lutte, mais dans une lutte plus cruelle et plus dure que celle de l’ambition proprement dite, dans la lutte contre lui-même et contre « le monde », lutte où il est devenu âpre, violent, triste et malheureux affreusement. Par désir de supprimer une passion, substitution d’une passion à une autre ; et substitution, à une passion bonne, d’une passion mauvaise, ou, à une passion mauvaise, d’une passion pire.

Les chrétiens ont prétendu supprimer l’amour, le faire considérer comme une passion funeste, comme un ennemi. Soit ; mais « les passions deviennent mauvaises et perfides quand on les considère d’une manière mauvaise et perfide ». Les chrétiens ont fait d’Éros et d’Aphrodite des génies de l’enfer, des esprits trompeurs. D’abord cela est douteux que ce qui est créé pour la propagation de l’espèce soit trompeur en soi et funeste. Ensuite c’est une vul-