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en le dégradant le tue. Si nous nous plaçons dans l’hypothèse de l’explication et de la justification du monde par sa beauté, hypothèse où, comme on sait, Nietzsche s’est complu quelquefois, « rien n’est plus complètement opposé à l’interprétation, à la justification purement esthétique du monde que la doctrine chrétienne, qui est et ne veut être que morale et qui, avec ses principes absolus, par exemple avec sa véracité de Dieu, relègue l’art, tout art, dans l’empire du mensonge, et c’est-à-dire le nie, le condamne, le maudit ».

Le Christianisme repousse l’art tout entier. Il n’est « ni apollinien ni dionysiaque ; il nie toutes les valeurs esthétiques, il est nihiliste au sens le plus profond du mot ». Il y a cette différence, à sa honte et à sa condamnation, entre ce qui l’a préparé et lui-même, que le socratisme subordonnait l’art à la morale, considérait l’art, ainsi que tout travail humain, comme devant tendre à la morale comme à sa dernière fin ; à ce titre l’admettait donc encore ou croyait l’admettre, l’énervait, mais ne le proscrivait point, ou croyait ne pas le proscrire, tandis que le Christianisme le proscrit, et, très intelligent, en a peur, comme de son ennemi mortel, c’est-à-dire vivant. Dès qu’un chrétien est intelligent, dès qu’un chrétien est profond, dès qu’un chrétien comprend le christianisme.