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plus la sagesse vivante et personnifiée, soit qu’elle porte le nom d’Épictète ou celui d’Épicure, la croix dressée des martyrs et la trompette du jugement dernier suffiront peut-être à produire de l’effet pour décider de pareils peuples à une fin convenable. Que l’on songe à la Rome de Juvénal, à ce crapaud venimeux, aux yeux de Vénus, et l’on comprendra ce que cela veut dire que de dresser une croix devant le monde… La plupart des hommes naissaient, en ce temps-là, avec des âmes assouvies, avec des sens de vieillard. Quel bienfait c’était pour eux que de rencontrer ces êtres qui étaient plus âmes que corps et qui semblaient réaliser cette idée grecque des ombres de l’Hadès ! Ce Christianisme considéré comme glas de la bonne antiquité, sonné d’une cloche fêlée et lasse, mais d’un son pourtant mélodieux ; ce Christianisme, même pour celui qui maintenant ne parcourt ces siècles qu’au point de vue historique, est un baume pour l’oreille. Que dut-il donc être pour les hommes de l’époque ! Par contre, le Christianisme est un poison pour les jeunes peuples barbares. Planter, par exemple, dans les âmes des vieux Germains, ces âmes de héros, d’enfants et de bêtes, la doctrine du péché et de la damnation, qu’est-ce autre chose sinon les empoisonner ? Une formidable fermentation et décomposition chimi-