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quelquefois suffisantes pour qu’une religion en détruise une autre et s’établisse.

Mais qui peut détruire toutes les religions sans en mettre une autre à la place de la dernière ? Une seule chose, très difficile à la vérité, la destruction du surnaturel, l’affirmation énergique que le surnaturel n’existe pas, la mise au défi de prouver que le surnaturel existe. La première chose que le prophète de l’avenir doit crier, c’est : « Dieu est mort ; je vous dis en vérité une chose vraie : Dieu est mort. » C’est le premier mot de Zarathoustra. Il faut affirmer énergiquement que Dieu n’existe plus.

Quand cette idée s’empare de Nietzsche, elle le pousse si loin qu’il en oublie une de ses théories favorites, à savoir que le monde est une manifestation de beauté. Car cette théorie peut conduire à Dieu, à un Dieu, à quelque chose de théologique ; elle contient du divin. Si le monde est une manifestation de beauté, il suppose un artiste, au-dessus de lui, au-dessous de lui, en lui, mais encore quelque part ; ou il suppose le monde lui-même artiste, artiste de lui-même. C’est encore trop de divin. Aussi, quand Nietzsche s’échauffe en athéisme, il nie la beauté du monde et il faut bien reconnaître qu’il ne peut pas faire autrement : « La condition générale du monde est pour toute éter-