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veille à ce que cette distraction ne devienne pas un effort. On ne veut ni pauvreté ni richesse ; l’une et l’autre donnent trop de souci. Qui voudrait encore commander ? Et qui obéit ? L’un et l’autre donnent trop de souci. Pas de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose. Tous sont égaux : qui pense autrement entre volontairement dans un asile d’aliénés. — Nous avons découvert le bonheur, disent les derniers hommes ; et ils clignotent. »

Il semble que voilà bien l’État moderne, ses principes, son présent et son avenir. S’il est ainsi, est-ce qu’il ne tournerait pas le dos à la culture, à l’art, à la beauté, à la civilisation et en général à ce qu’on appelle habituellement la vie humaine ? Est-ce que nous ne serions pas entre deux barbaries, avec « notre chaise au milieu », l’une, derrière nous, violente, agitée et chaotique, l’autre, devant nous, énervée, décrépite, ramollie et en air stagnant ? Est-ce que le progrès dont notre âge se vante ne serait pas celui du sable mouvant ou de la vase montant, d’un mouvement insensible et doux, de nos jambes à notre ceinture et de notre ceinture à nos épaules ? Nous le voyons s’élever, d’une ascension précise et sûre ; et nous nous disons avec orgueil : Oh ! oh ! quelque chose monte. Mais il faudrait un peu se demander si ce n’est pas nous qui descendons, ce qui n’est pas impossible, et si le moment n’est pas