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pleinement ou brillamment que dans « l’état de nature », ou dans cet état primitif à sociétés peu organisées que l’on appelle quelquefois l’état de la nature. Au fond, c’est l’invention sociale elle-même qui est contre moi. »

Il a pu se dire cela, encore que je ne voie pas qu’il l’ait écrit nulle part, lui qui écrivait tout ce qu’il pensait, avec tant de bravoure et de hardiesse ; il a pu penser cela quelquefois, et, pour ma part, je le sais trop intelligent pour douter qu’il ait fait cette réflexion ; mais, persuadé, peut-être à tort, qu’il y a eu une race, à savoir la grecque, qui a été organisée en société et qui a créé la vie libre, belle et forte, il ne s’est pas arrêté à la pensée antisociale et il a laissé à quelques disciples de lui, peut-être logiques, la tâche ou le plaisir de la déduire de ses prémisses.

Ce dont il a fait la critique pénétrante, subtile et dure, ce qu’il a attaqué vigoureusement et dédaigneusement à la fois, c’est la société moderne, la société utilitaire, la société qui a pour rêve de donner à un très grand nombre d’êtres humains un petit bonheur étroit, laid et dégoûtant. Cette société-là est la bête noire, ou, si vous voulez, le troupeau noir de Nietzsche. Il la poursuit de railleries enflammées qui sont admirables. Ce qu’elle veut confusément, cette société, c’est deux choses