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tainement le but, subconsciemment conçu et senti, de leur démarche générale.

Songeant, bien vaguement, à cela, mais en tout cas ne songeant pas à autre chose, elles ne peuvent penser qu’à assurer à tous les hommes une vie excellemment médiocre, une petite vie humble et restreinte, qui ne gêne pas, qui n’empiète pas, qui ne se déploie pas, une vie telle que chacun, très rétréci et comprimé, n’empêche point les autres de naître d’abord, et d’avoir, eux aussi, chacun sa petite place, sa petite case, son tout petit champ d’évolution. L’idéal de chacune de ces sociétés semble être celui d’un architecte d’hôpital ou d’un directeur d’hôpital qui mesure au plus juste les cubes d’air indispensables et qui dit : « En gagnant cinq centimètres encore sur chacun, j’obtiendrai quatre lits de plus, peut-être cinq. » — Il est difficile de vivre en liberté, en beauté, en force, et en surabondance dans ce système et dans cette pratique.

Très évidemment les sociétés modernes, aussi bien pour leurs simples citoyens que pour leurs soldats, s’occupent peu de la qualité et ne s’inquiètent que de la quantité. Elles ne veulent ni « faire grand » ni « faire beau » ni peut-être même « faire bien » ; elles veulent « faire nombreux ». Cela, à ce qu’il semble, tient bien à leur