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puisqu’il ne donne à ma pensée, pour sortir, que la fenêtre par où passait la pensée de mes aïeux ; puisque, ce faisant, en dernière analyse il me force à prendre la pensée de Descartes pour dire la mienne. Le langage est donc conservateur des erreurs anciennes ou peut-être des vérités anciennes ; mais à coup sûr il est conservateur et antilibérateur. C’est un grand « danger pour la liberté intellectuelle. Toute parole est un préjugé ».

Et quand on songe que même sans parler on parle encore, que la pensée intérieure ne devient précise que par une parole intérieure et dans une parole intérieure, qu’elle ne s’est bien trouvée elle-même que quand elle a trouvé son mot, que dès que je pense, c’est que je parle, et qu’auparavant plutôt j’aspirais à penser que je ne pensais en effet : on comprend à quel point les premières erreurs, naturelles et nécessaires, subsistant et par elles-mêmes, puisqu’elles ressortissent à des faiblesses peut-être éternelles de notre nature, et par l’habitude et par la tradition et par la nécessité de les exprimer encore un peu même quand on veut exprimer autre chose et même le contraire, ont un très grand empire et très difficile à ébranler et presque imprescriptible sur l’esprit des hommes.

Donc Nietzsche fera la guerre et suppliera qu’on