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obstacle c’est l’habitude, qui, en ces matières, s’appelle la tradition. L’humanité vit sur son passé, auquel elle tient par habitude ; et ce passé n’est qu’erreur et ne peut être qu’erreur. L’homme a été élevé par ses erreurs ; et ses erreurs sont devenues comme un fond de sa nature, dont il ne peut pas bien facilement se détacher ; et ces erreurs, d’une part, se continuent et se prolongent, d’autre part, rencontrant des vérités, se combinent avec celles-ci et produisent des erreurs nouvelles plus graves peut-être, comme toute erreur qui est mêlée de vérité et reçoit par là un nouveau crédit : « L’homme a été élevé par ses erreurs. — En premier lieu il ne se vit toujours qu’incomplètement », sur quoi il a conçu une règle de vie qui ne s’appliquait pas ou s’appliquait mal et contribuait à lui donner de lui une idée incomplète ; — « en second lieu il s’attribua des qualités imaginaires », comme par exemple la faculté de savoir l’avenir, ou la faculté du libre arbitre, ou la faculté de comprendre le surnaturel ; et ces erreurs furent productrices de règles de vie qui subsistent encore et qui le trompent. — « En troisième lieu il se sentit dans un rapport faux vis-à-vis des animaux et de la nature » ; il se sentit différent d’elle et d’eux, ce qui l’amena à croire à un antagonisme entre lui et le reste de la nature, erreur ou vue incomplète qui lui donna une direc-