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— Mais cette disposition d’âme rend nécessaire la lutte ; car il ne suffit pas d’accepter le monde pour qu’il vous accepte et l’aimer oblige à le conquérir. — Précisément ! Il faut être dispos à l’amour et à la lutte, à l’amour pour le monde et à la lutte contre lui par amour de lui : « On ne produit qu’à la condition d’être riche en antagonismes ; on ne reste jeune qu’à la condition que l’âme ne se détende pas, n’aspire pas au repos… Rien ne nous est devenu plus étranger que ce desideratum du passé, à savoir la paix de l’âme. Rien ne nous fait moins envie que la morale de ruminant et l’épais bonheur d’une bonne conscience. »

— Mais cette règle de vie se retournera contre vous. Il se peut très bien qu’à chercher la vie, l’extension de la vie, la vie toujours plus vivante, ce soit la peine, la souffrance, la blessure et finalement que vous rencontriez. — Soit et précisément ! L’optimisme complet et vrai emporte le mal avec lui, l’acceptant avec joie et l’embrassant et l’enveloppant en lui jusqu’à le faire disparaître à force de l’absorber. « Il faut vivre dangereusement » (un des plus beaux mots qui aient été prononcés par une bouche humaine), il faut vivre dans les périls, pour savourer la vie en sa plénitude et même pour savoir ce que c’est ; « croyez-m’en, le secret pour moissonner l’existence la plus féconde, la plus