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entendre le monde comme manifestation de moralité, nous sommes très vite leurrés dans notre espoir, et il nous faut convenir qu’excepté dans le cerveau humain il n’y a pas une ombre de moralité dans le monde. Si nous voulons entendre le monde comme une manifestation de bonté et dire comme Platon : « Dieu a créé le monde par bonté », nous touchons au ridicule et c’est une simple absurdité que de concevoir une puissance qui crée des êtres par bonté pour les faire souffrir. Mais les objections s’effacent, les antinomies se résolvent, les absurdités disparaissent et le scandale de la raison et aussi de la conscience s’évanouit, si nous envisageons l’Univers comme une manifestation du beau ; et du « mal sur la terre » il n’est plus question si nous disons que l’Univers a sa raison d’être dans sa beauté et uniquement dans sa beauté. Dieu est justifié s’il est un artiste :

« Il est nécessaire de nous élever résolument jusqu’à une conception métaphysique de l’art et de nous rappeler cette proposition précédemment avancée que le monde et l’existence ne peuvent paraître justifiés qu’en tant que phénomène esthétique, auquel sens le mythe tragique [par exemple] a précisément pour objet de nous convaincre que même l’horrible et le monstrueux ne sont qu’un jeu esthétique, joué avec soi-même par la volonté dans la