Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

losophique du xixe siècle comme le symptôme d’une force supérieure de la pensée, d’une bravoure plus téméraire, d’une plénitude de vie plus victorieuse que celle qui avait été le propre du xviiie siècle (Hume, Kant, Condillac). Je pris la connaissance tragique comme le véritable luxe[1] de notre civilisation, comme sa manière de se prodiguer, la plus précieuse, la plus noble, la plus dangereuse ; mais pourtant, en raison de son opulence, comme un luxe qui lui était permis[2]. — De même j’interprétais la musique allemande comme l’expression d’une puissance dionysiaque de l’âme allemande… On voit que je méconnaissais alors, tant dans le pessimisme philosophique que dans la musique allemande, ce qui lui donnait son véritable caractère, son romantisme… Tout art et toute philosophie peuvent être considérés comme des remèdes… Mais il y a deux sortes de souffrants ; il y a ceux qui souffrent d’une surabondance de vie et il y a ceux qui souffrent d’un appauvrissement de la vie. Et ceux qui souffrent d’une surabondance de vie veulent un art dionysiaque et aussi une vision tragique de la vie intérieure et extérieure… l’homme dionysien se plaît non seulement au spectacle du terrible et de l’inquiétant ; mais il aime le

  1. Souligné par Nietzsche.
  2. Id.