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paradoxal, effronté et un peu cynique, c’est de n’avoir pas rencontré dans ses livres un éloge de Néron. Il y doit être ; je n’aurai pas fait attention. Oui, Nietzsche est néronien, et c’est le secret même de son influence sur la partie, à la vérité, la plus grotesque, de son public, sur les « esthètes », sur les pseudo-artistes, sur les cabotins, sur quelques femmes, à ce qu’on m’assure. Sa conception artistique de la vie de l’humanité est l’exagération énorme d’une demi-vérité ou d’un quart de vérité. L’humanité doit produire de la beauté ; elle doit vivre en force saine et en beauté, autant qu’elle peut. Mais se sacrifier ou se laisser sacrifier à une belle vision d’art, c’est autre chose. L’humanité ne doit se sacrifier qu’à l’humanité.


Ne quittons pas Nietzsche, après l’avoir tant combattu, sans reconnaître que c’est une très haute intelligence servie par une admirable imagination. N’eût-il que du talent, je le tiendrais déjà pour homme qui a rendu des services au genre humain. Car le talent, même malfaisant, est toujours, je crois, plus bienfaisant que malfaisant. Il devient bienfaisant à la longue, quand le venin s’en est volatilisé et quand le parfum en est resté. Mais même en soi, même à ne considérer que ses idées, je trouve à Nietzsche son utilité.