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nous périssons pour que les poètes ne manquent pas de sujets ! Et ce sont les Dieux d’Homère qui arrangent cela ainsi, comme si les plaisirs des générations futures semblaient leur importer beaucoup, mais le sort de nous autres, contemporains, leur être très indifférent. Comment de pareilles idées ont-elles pu entrer dans le cerveau d’un Grec ? » — Mais, s’il vous plaît, cette idée est tout à fait olympienne et assez dionysiaque et excellemment faite pour le cerveau des Grecs tels que vous les avez toujours compris et représentées ; et c’est excellemment aussi une idée nietzschéenne, et c’est l’idée nietzschéenne elle-même. L’humanité, au prix des plus grandes souffrances, doit produire de la beauté, être une admirable matière de poème épique : à creuser Nietzsche c’est cela qu’on trouve, et si l’on ne trouve pas cela on ne trouve rien, que du talent. Or c’est cela qui, encore que très olympien, fort dionysiaque, assez homérique et peut-être grec, me paraît très contestable. Pour un grand bien beaucoup de souffrances, d’accord ; mais pour la « beauté de la chose », un immense et perpétuel martyre de l’humanité, non pas ! Un peu moins de beauté et un peu plus de bonheur.

Ce Nietzsche est un peu néronien, au moins. Pour dire toute ma pensée, il l’est tout à fait, et la chose qui m’étonne le plus, étant donné qu’il est