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fait une erreur aussi forte au moins que celle qu’il reproche au moraliste avec tant de dureté, d’amertume et de hauteur. L’art est une grande chose ; c’est un des objets où a raison de s’appliquer l’humanité quand elle n’a pas autre chose à faire ; il serait très regrettable que le genre humain n’eût aucun loisir à consacrer à ce noble exercice ; c’est pour avoir des loisirs applicables à l’art, j’entends à le faire ou à le goûter, que l’humanité s’est ingéniée par des découvertes et inventions à diminuer la somme de temps nécessaire à se procurer la subsistance ; tout cela est vrai ; il n’en résulte pas que toute action humaine doive tendre à créer de la beauté et que toute action humaine qui n’y tend pas soit méprisable, et que toute pensée humaine qui n’a pas ce but soit dégoûtante.

L’humanité doit être dirigée et gouvernée par une élite : c’est parfaitement mon avis. Elle doit être gouvernée et asservie rudement par une élite de penseurs, d’artistes et d’hommes énergiques, ces artistes en actions, parce que ces gens-là créent de la beauté, dont la foule ne se soucie point et que la foule ne crée que quand on la force à la produire : ce n’est plus mon avis. Si l’élite ne se donne pas pour but, avant tout, de rendre des services à la foule, de la rendre plus intelligente, plus sage, plus saine, et en définitive plus heureuse, je ne