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et tout entière. Il a commencé par dire tout ce que vous savez qu’il a dit dans son Origine de la Tragédie grecque ; il a fini par dire dans sa Volonté de Puissance, au chapitre de la critique des valeurs supérieures : « Serait-il désirable de créer des conditions où tout l’avantage se trouverait du côté des hommes « justes », en sorte que les natures et les instincts opposés seraient découragés et périraient lentement ? C’est là en somme une question de goût et d’esthétique[1] : serait-il désirable [au point de vue esthétique] que l’espèce d’hommes la plus « honorable », c’est-à-dire la plus ennuyeuse, subsistât seule, les gens carrés, les gens vertueux, les gens droits, les bêtes à cornes ?... C’est peut-être le contraire qui serait à désirer : créer des conditions où « l’homme juste » serait abaissé à l’humble condition d’instrument utile, bête de troupeau idéale, au meilleur cas berger du troupeau. »

C’est une question d’esthétique. L’humanité doit être menée par des aristocraties peu affaiblies de morale, ou ayant et pratiquant une morale très particulière, parce que l’humanité est faite pour créer de la beauté.

Je n’en suis pas sûr du tout. L’humanité ne sait aucunement pourquoi elle est faite ; mais il est

  1. Souligné par Nietzsche.