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Sentiment naturel à celui qui remplace, au nouveau propriétaire d’un château historique, au nouvel anobli, à l’athée rivalisant, quelquefois, de vertu avec le croyant ; sentiment, du reste, qui ne dure pas, et la démocratie une fois installée et sûre de ses positions et perdant le souvenir de ce qu’elle a remplacé, devient tout naturellement aussi indifférente à l’idée de patrie qu’hostile à l’idée aristocratique et ne voit pas la nécessité de défendre un pays où elle restera ce qu’elle est, qu’il lui appartienne ou qu’il appartienne à un autre, et où, surtout, pour le défendre, on serait forcé de reconstituer une hiérarchie qui ressemblerait fort à une aristocratie, et qui, à dire vrai, en serait une.

Les nations patriotes sont donc toujours des nations aristocrates, et les nations aristocratiques sont des pays où l’aristocratie est aristocrate, mais où le peuple l’est beaucoup plus.

Donc la question est très mal posée par Nietzsche. Il ne faut pas dire : Tout ce qui a été fait de bon et grand dans l’humanité l’a été par les aristocraties ; il faut dire : Tout ce qui a été fait de bon et de grand dans l’humanité l’a été par des peuples, des peuples et non des fractions de peuples, qui étaient aristocrates de la base au faîte.

Ainsi s’évanouit, là aussi, en politique comme en morale, cette distinction fondamentale, cette