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vainqueur et de Turenne triomphant, qu’il soit heureux de la vie glorieuse à laquelle il ne participe point, si ce n’est par ses souffrances, et dont il n’a que les labeurs et les peines. Il faut qu’il dise avec orgueil, en voyant passer les équipages, ce mot recueilli par Taine : « Ah ! que nos lords sont riches ! « Pour qu’il soit dans cet état d’esprit, il faut qu’il soit cent fois plus aristocrate que les aristocrates eux-mêmes. Une nation aristocratique, c’est une nation où l’aristocratie est aristocrate ; mais où la plèbe l’est bien davantage.

— Mais c’est un sophisme ! Vous confondez aristocratisme et patriotisme.

— Je ne les confonds pas. C’est bien eux qui se confondent eux-mêmes. L’aristocratisme est une forme du patriotisme et n’est pas autre chose. Si l’on veut, l’aristocratisme est une forme de l’instinct de hiérarchie et l’instinct de hiérarchie c’est le patriotisme lui-même. Un peuple a le sentiment hiérarchique tant qu’il se considère comme un camp. Tant qu’il se considère comme une armée dans un camp fortifié, il comprend ou il sent (et c’est la même chose pour le résultat, et le sentir est même beaucoup plus fort que le comprendre) que le seul moyen ou de croître ou seulement de subsister est de maintenir énergiquement la hiérarchie, c’est-à-dire l’ossature nationale, l’organisme