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passion. C’est une passion contre les passions. Qu’il s’agisse de les anéantir, comme étant des maladies et n’étant bonnes à rien du tout, ce qui est l’avis de certains, et le mien, ou qu’il s’agisse de les régler, discipliner, diriger, endiguer, canaliser, épurer, oh ! en tant que combats à livrer contre elles, comme c’est la même chose ! En tant que bête de combat, l’homme adore donc la passion contre les passions, la passion contre lui-même, la passion égophobe, qui lui procure des victoires si savoureuses et un butin si exquis, le butin de soi-même ; et au fond des victoires de laquelle il est bien entendu, au reste, qu’il retrouve une saveur merveilleuse d’égoïsme, un triomphe transcendant du moi, puisque c’est un triomphe, sur le moi, du moi pur.

Par tous les chemins la morale devient donc une passion. L’homme vénère en elle ce qui, en son principe et au commencement des choses, a créé — et c’est parfaitement vrai — la civilisation et l’humanité ; et il est parfaitement exact que si l’homme avait été égoïste passionnel, tout simplement l’humanité aurait disparu très peu de temps après sa naissance. Il adore dans la morale quelque chose de mystérieux — devenu mystérieux — qui commande sans donner ses raisons, comme un Dieu, et, ou il la confond avec la religion et l’y absorbe, ou,