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radicale : « Il était en effet grand temps de prendre congé[1]. Cela me fut démontré tout de suite, Richard Wagner, le plus victorieux en apparence, en réalité un romantique caduc et désespéré, s’effondra soudain, irrémédiablement anéanti comme devant la sainte croix. Aucun Allemand n’avait-il donc alors des yeux pour voir, de pitié dans la conscience pour déplorer cet horrible spectacle ? Ai-je donc été le seul qu’il ait fait souffrir[2] ? N’importe ; l’événement inattendu me jeta une lumière soudaine sur l’endroit que je venais de quitter et me donna aussi ce frisson de terreur que l’on ressent après avoir couru inconsciemment un immense danger. Lorsque je continuai seul ma route, je me mis à trembler. Peu de temps après je fus malade, plus que malade, fatigué par la continuelle désillusion au milieu de tout ce qui nous enthousiasmait encore, nous autres, hommes modernes… fatigué par dégoût de tout ce qu’il y a de féminisme et d’exaltation désordonnée dans ce romantisme, de toute cette menterie idéaliste et de cet amollissement de la conscience qui de nouveau l’avait emporté, là, sur un des plus braves ; fatigué enfin, et ce ne fut pas ma moindre fatigue, par la tristesse d’un impitoyable soupçon : je pressentais

  1. Souligné par Nietzsche.
  2. Id.