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passion et prend tout le caractère, et je dirai presque le tempérament tyrannique d’une passion. La morale n’a été sans doute, chez les peuples primitifs, que la nécessité profondément sentie de sacrifier l’intérêt personnel à l’intérêt commun. Cela a été idée juste, puis sentiment, puis passion. L’idée de nécessité est devenue idée d’obligation. L’homme s’est senti obligé. Tous les hommes se sentent obligés. De là union intime de la religion et de la morale, soit que la morale dérive de la religion, soit que la religion dérive de la morale. L’homme, peu à peu, en faisant son devoir, s’est senti obligea quelque chose qui n’avait plus d’objet très précis, les nécessités de la défense quotidienne et du sacrifice quotidien étant moins présents et palpables, et il a adoré ce quelque chose qui commandait sans donner ses raisons et qui disait : « Il faut, ta dois » ; il l’a adoré respectueusement et superstitieusement, soit comme commandement d’un mystérieux de là-haut, soit comme commandement d’un mystérieux d’au dedans de lui, et ç’a été le fondement mystique de la morale ; et dès que la morale a eu un fondement mystique, elle a été une passion d’une énergie extraordinaire, l’homme n’étant ému que par le mystérieux et n’étant dévoué avec ardeur et avec fanatisme qu’aux choses qu’il ne comprend pas.