Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle seule est une « valeur » et que toutes les autres valeurs ne le sont qu’en fonction d’elle, et qu’en tant qu’elles contribuent à l’établir et à confirmer son empire.

Cela est véritablement excessif et cela est véritablement une erreur. Asservir à soi le savant, l’artiste, le politique, c’est, de la part de la morale, un empiétement, mauvais en soi et qui, comme tous les empiétements, finit par tourner contre celui qui le fait. Dire au savant : « La science ne doit servir qu’à établir une morale rationnelle et à rendre les hommes plus moraux. » Dire à l’artiste : « L’art ne doit servir qu’à rendre les hommes plus vertueux. » Dire à l’homme d’État : « La politique c’est la morale et ce n’est que la morale » ; c’est paralyser des forces humaines qui ont le droit d’être et qui ont leur utilité propre et indépendante ; c’est stériliser et glacer le savant, l’artiste et le politique.

Le savant se dira sans cesse : « Cette vérité est-elle vertueuse, cette vérité n’est-elle pas démoralisante ? » — Et il ne cherchera plus la vérité.

L’artiste se dira : « Tel art n’est-il pas immoral ? Et l’art même, comme le dit Tolstoï, n’est-il pas immoral en soi ? » — Et il croira devoir réduire l’art, comme le veut Tolstoï, à la Case de l’Oncle Tom.

Le politique se demandera sans cesse : « Suis-je