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est bien la morale de l’humanité. C’est une morale souple.

Celle de Nietzsche est rigide et arbitrairement rigide. Entre grands et petits, qu’elle serait bien embarrassée de classer et de définir, elle creuse un fossé profond, et pour ceux qui sont à droite elle établit une morale stricte et pour ceux qui sont à gauche elle établit une morale stricte aussi et rigoureuse avec des apparences d’immoralité. Elle repose presque sur une fantaisie d’imagination, n’a aucun fondement solide ni dans la psychologie des hommes ni dans la psychologie des peuples. Elle n’est guère qu’une rêverie brillante de poète.


J’aime beaucoup mieux ce que Nietzsche a dit des empiétements de la morale et des limites légitimes dans lesquelles il convient de la circonscrire comme toute autre chose. Ceci est vrai et ceci est juste dans ses conséquences. La morale a toujours eu, ou depuis très longtemps, depuis Socrate, si l’on veut, la prétention de ramener à elle comme à leur dernière fin ou bien plutôt comme à leur fin unique toutes les actions et même toutes les préoccupations humaines. Cette « Circé des philosophes » l’a été, et l’a voulu être, pour leur bien, de tous les hommes. Elle a implanté dans l’humanité cette idée qu’elle seule est respectable,