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L’idée générale qu’a eue l’humanité jusqu’à présent, et que je me garde bien de dire qui soit la vérité, est au moins plus juste. Elle dit : « Il y a une morale générale et universelle (car elle le croit). Conformez-vous-y tous. Cependant, ceux qui feront beaucoup plus que leur devoir d’un côté, seront tacitement autorisés à faire un peu moins que leur devoir d’un autre côté. Ceux qui ne feront que très strictement leur devoir, ne devront pas s’attendre à ce que l’on ferme les yeux sur leurs faiblesses. Il y a des privilèges dans le domaine de la morale. Il y a des privilèges, mais distribués de telle sorte qu’ils se contrebalancent les uns et les autres et qu’en somme, remarquez-le bien, tout le monde en a. Il y a une foule d’applications différentes de la loi morale selon le degré de puissance pour le bien que chacun possède, avec des compensations pour que personne ne soit trop lésé ni trop dupe. »

Voilà, vraiment, la morale de l’humanité jusqu’à présent. C’est une morale souple. — Je crois bien, au fond, que c’est une erreur et que l’homme supérieur a tout simplement plus de devoirs que les autres, sans compensation, si ce n’est celle (qui est immense) de se dire avec une profonde satisfaction d’orgueil qu’il a plus de devoirs que tous les autres sans compensation. — Mais cependant telle