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son naturel ; c’est ensuite, si l’on veut, comme l’a remarqué M. Fouillée, parce que les Allemands aiment à forcer le trait, autant que Renan, par exemple, aimait à l’adoucir ; c’est surtout parce que de son isolement et de sa personnalité s’opposant aux idées de la multitude il avait souffert d’abord énormément, et que, dès lors, il prenait une sorte de revanche à accuser cette personnalité, cette originalité, cet isolement, à l’armer en guerre pour le confirmer et n’en plus souffrir, à l’exagérer comme avec colère contre lui-même et à dire : « Oui, je pense seul contre tous et cela ne me fera plus souffrir. » — Tel l’homme qui a été timide auprès des femmes et qui, ayant vaincu cette timidité, prend un plaisir de vainqueur à être trop assuré auprès d’elles ; tel l’orateur qui a commencé par être paralysé à la tribune, et qui, cette maladie guérie, devient trop improvisateur, parce qu’il l’est avec une volupté qui a son origine dans ses anciennes affres.

Du reste, si Nietzsche se dégagea avec une douleur qui n’a rien que de très honorable, il se dégagea avec le courage qui était bien le fond de sa nature. Il secoua les influences qui avaient pesé sur lui, d’un coup d’épaule, sec et dur et définitif ; il se guérit de ses maladies — ce sont ses expressions — par une médication spontanée, très énergique et