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dîner ou une jolie femme, avec mesure. Vous voyez bien que voilà un homme, de la moyenne cependant, qui n’a pas du tout la même morale et à qui on n’applique pas du tout la même morale qu’au minus habens et au minus potens de tout à l’heure. On est pour lui plus exigeant d’un côté et plus indulgent de l’autre.

Qu’un homme enfin rende des services éminents à son pays ou à l’humanité, le genre humain tout entier exige énormément de lui, n’admet pas qu’il abdique, ni qu’il se relâche, ni, presque, qu’il se repose ; et, d’autre part, il lui pardonne aisément des vices ; surtout il lui pardonne instinctivement d’être autoritaire, impérieux, dur, et de rude étreinte et de poids lourd.

Remarquez-vous qu’à mesure qu’on se trouve en présence, je ne dirai pas du plus méritant, mais du plus utile, de celui qui est jugé à tort ou à raison le plus utile et en un mot qu’il faut bien dire, du plus fort, on lui donne plus d’argent, et l’on croit unanimement, sauf les socialistes, qu’il faut en effet lui donner plus d’argent. Et pourquoi donc ? A-t-il plus de besoins ? Il faut bien reconnaître que c’est parce que l’on admet qu’il a droit à plus de satisfactions, soit sensuelles, soit de luxe ou de vanité.

— Mais, malheureux ! vous favorisez ses vices !