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homme qui ne se croie obligé, ne concluez nullement qu’il n’y a qu’une obligation sous différentes formes. En m’accordant ces derniers mots « sous différentes formes », vous m’accorderiez déjà beaucoup, presque tout, à savoir qu’il n’y a pas identité des morales. Mais je dis même qu’il y a des sentiments d’obligation si différents, si contraires, qu’on ne peut pas, même en y mettant un très long temps, les ramener à un fonds commun. Il y a des morales qui commandent de tuer et d’autres qui le défendent. Il y a des morales qui commandent le respect des parents et d’autres qui commandent de les supprimer à un certain âge. Il y a des morales pour l’étranger et contre l’étranger. Il n’y a aucune identité des morales humaines.

Reste ce fait que, cependant, tous les hommes ont une morale. Que prouve-t-il ? Simplement que tous les hommes sont associés, ceux-ci à un groupement, ceux-ci à un autre. Que prouve-t-il ? Simplement que tous les hommes sont sociables.

— Mais un homme même isolé aurait une morale.

— Oui, ou du moins il aurait une discipline de lui-même ; mais il n’aurait aucun sentiment d’obligation. Il ne se sentirait nullement obligé à pratiquer la discipline qu’il se serait faite. (À moins qu’il n’eût appartenu auparavant à une association et