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ment la morale universelle parce que l’on voit que tous les hommes en ont une, ce que je tiens pour exact. Mais la conséquence est fausse. Tous les hommes ont une morale en ce sens que tous se sentent obligés à quelque chose. Ils se sentent tous obligés à quelque chose parce qu’ils sont tous engrenés dans une société (association, agrégation, compagnie), et cet engrenage constitue par lui-même un ensemble de devoirs. Une association de brigands a une morale, et très stricte. Une association de pirates a une morale, et très sévère. Une association de souteneurs — on vient de découvrir cela à Paris — a une morale et même une législation et même un tribunal jugeant les conflits. Une association de conquérants, une féodalité, une aristocratie a une morale, et très dure. Ainsi de suite. — Considérant qu’ainsi tous les hommes ont une morale et qu’il n’y a pas un homme qui n’en ait une, on en a conclu qu’ils avaient la même. C’est là qu’est l’erreur. Le fait que tous les hommes ont une morale ne constitue pas une morale universelle ; il établit seulement qu’il y a de la moralité partout, ce qui n’est pas du tout la même chose. L’universalité du fait moral n’est pas l’identité de la morale. C’est comme si l’on disait que, tous les hommes étant religieux, il n’y a qu’une religion dans le monde. De ce qu’il n’y a peut-être pas un