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Ainsi l’on pourrait résoudre toutes les contradictions de Nietzsche, sans se donner beaucoup de mal, et s’il en restait, nous n’en sommes plus à reprocher des contradictions à un homme qui pense pendant vingt ans et dont l’office est de nous faire penser, en nous exposant ses idées successives, et qui probablement, s’il avait pensé toujours la même chose, ne serait qu’un sot ; et qui, s’il s’était efforcé d’effacer un jour toutes ses contradictions, n’aurait travaillé qu’à paraître le sot qu’il n’était point.

Laissant donc cette dispute un peu vaine, prenons Nietzsche dans les deux ou trois idées générales auxquelles il tient et où il a laissé sa marque et examinons-les avec impartialité et sang-froid.

Il a, en somme, et quelques tergiversations de sa part étant négligées, institué deux morales, l’une vulgaire et inféconde, laissée à la foule, l’autre supérieure et productrice de grandes choses, en apparence immorale, à contre-fil de la première, et réservée à l’élite.

Cela contredit l’idée, chère à l’humanité depuis bien longtemps, de la « morale universelle ». Examinons d’abord ce point. La morale n’est-elle donc pas universelle, la même pour tous les hommes et pour tous les pays, etc., comme disait déjà Cicéron ? Je ne crois pas qu’elle le soit. On croit facile-