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Autant Nietzche s’est occupé du théâtre antique où il a vu, peut-être avec raison, tant de choses, autant il s’est peu inquiété du théâtre moderne. Il y a pourtant à relever chez lui une théorie sur le théâtre considéré comme commencement de décadence littéraire et comme symptôme de commencement de décadence sociale ; — une théorie de l’amoralité du théâtre ; — et enfin de profondes remarques sur le génie cornélien qu’il a merveilleusement pénétré et qu’il a analysé, ce qui se comprend assez, avec une sorte de passion amoureuse.

Nietzsche croit que « le théâtre a son temps » qui n’est déjà plus celui de la pleine vigueur imaginative d’un peuple. Le temps de la pleine vigueur imaginative d’une race c’est l’époque de l’épopée. Mais dès que le peuple a besoin qu’on lui représente matériellement ses héros et ses légendes, c’est qu’il imagine et pense et se représente les choses beaucoup moins énergiquement : « Lorsque l’imagination d’un peuple se relâche, un penchant naît en lui de se faire représenter ses légendes sur la scène ; il supporte, il peut supporter les grossiers remplaçants de l’imagination ; mais à l’époque à laquelle appartient le rhapsode épique, le théâtre et le comédien déguisé en héros seraient une entrave au lieu d’une aide de l’imagination ; ils sont