Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viriles, joyeuses ou belliqueuses. Il se sentit ébranlé.

Il ne faut pas croire qu’il le fut sans regret et sans regard jeté en arrière et que son état, en cette crise, fut tout de suite l’état dionysiaque. Malgré son orgueil et son humeur batailleuse, — et j’ai prévenu que les traits principaux du caractère de Nietzsche n’étaient pas tout son caractère, — il connut la tristesse de l’homme qui se sépare de son pays, ou de son parti, ou de son cénacle, tristesse que tout homme qui a quelque personnalité a connue à un moment de sa vie. Malgré tout son orgueil, il avait eu, et Dieu merci, quelque chose de la docilité, du respect pour le maître, du famulisme, qui caractérise tout écolier allemand ; et il éprouvait un serrement de cœur et un peu d’angoisse à penser par lui-même : « Je connais un homme qui, encore enfant, s’était déjà habitué à bien penser de l’intellectualité des hommes, c’est-à-dire de leur véritable penchant pour les objets de l’esprit… à avoir par contre, une idée très médiocre de son esprit à lui (jugement, mémoire, présence d’esprit, imagination). Il ne s’accordait aucune valeur lorsqu’il se comparait à d’autres. Mais au cours des années il fut forcé, une fois d’abord, puis cent fois, de changer d’opinion sur ce point. On pourrait croire que ce fut à sa grande joie et à