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de ce qui existait entre le sublime et la canaille ; il s’était perché partout, faisant toujours des yeux effrontés et voilés de larmes et prenant toujours son air sensible. Si la langue ne s’effrayait d’une pareille association de mots, on pourrait affirmer qu’il possédait un bon cœur dur et, dans sa façon de jouir, une imagination baroque et corrompue qui était presque la grâce de l’innocence. Un tel sens de l’équivoque, entré dans l’âme et dans le sang, une telle liberté d’esprit remplissant toutes les fibres et tous les muscles du corps, personne peut-être ne possédait ces qualités comme lui. »

Cette souplesse de « l’art fort » a pour marque assez fréquente ce qu’on a appelé fort bien les grâces de la négligence. Cette négligence ne doit pas être affectée, elle doit être dans le mouvement naturel d’un être qui ne donne pas à l’acte qu’il fait toute la force dont il dispose : « Une œuvre qui doit produire une impression de santé doit être exécutée tout au plus avec les trois quarts de la force de son auteur. Si l’auteur a donné sa mesure extrême, l’œuvre agite le spectateur et l’effraye par sa tension. Toutes les bonnes choses laissent voir un certain laisser-aller et elles s’étalent à nos yeux comme les vaches au pâturage. » — Il faut dans l’œuvre d’art quelque chose comme du pain : « Le pain neutralise le goût des autres