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qu’elle soit neurasthénie. On peut dire que l’art classique et l’art romantique sont tous deux des rêves, puisqu’ils sont des arts, mais que l’un est rêve d’homme fort et l’autre rêve d’homme faible : « Les esprits au sens classique, tout aussi bien que les esprits au sens romantique — les deux espèces existeront toujours — portent en eux une vision de l’avenir ; mais la première catégorie fait jaillir cette vision de la force de son temps et la seconde de sa faiblesse. »

Cet art fort est avant tout réaliste, évidemment. Il s’attache à la réalité autant que l’art proprement et uniquement rêveur s’en éloigne comme avec répulsion ; mais il ne doit pas oublier que tout art est choix et il devra bien se garder d’aimer tout le réel et de vouloir saisir et imiter et reproduire tout le réel. Le style ici, qui est un art lui-même, nous indique la mesure dans laquelle l’art doit être réaliste et s’approprier le réel : « De même que le bon écrivain en prose ne se sert que des mots qui appartiennent à la conversation, mais se garde bien d’utiliser tous les mots de cette langue, et c’est ainsi que se forme précisément le style choisi, — de même le bon poète de l’avenir ne représentera que les choses réelles, négligeant complètement tous les objets vagues et démonétisés, faits de superstitions et de demi-sincérités,