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une image qui naît intérieurement, agit en mettant les membres en mouvement ; une certaine suspension de la volonté ; une sorte d’aveuglement et de surdité à l’égard de tout ce qui se passe au dehors ». — Cet état particulier, de puissance surexcitée et en acte, fièvre d’un genre particulier, « est ce qui distingue l’artiste du profane, du réceptif. Celui-ci atteint les points culminants de son irritabilité en recevant, l’artiste en donnant, en sorte qu’un antagonisme entre ces deux prédispositions est non seulement naturel, mais encore désirable. Chacun de ces états possède une optique contraire à l’autre. Exiger d’un artiste qu’il s’exerce à l’optique du spectateur, du critique, c’est exiger qu’il appauvrisse sa puissance créatrice. Il en est ici comme de la différence des sexes ; il ne faut pas demander à l’artiste qui donne de devenir femme, de recevoir. Notre esthétique fut jusqu’à présent une esthétique de femmes, en ce sens que ce sont seulement les hommes réceptifs relativement à l’art qui ont formulé leurs expériences au sujet de ce qui est beau… Cela indique, comme l’indique ce qui précède, une erreur nécessaire ; car l’artiste qui commencerait à comprendre, se méprendrait. Il n’a pas à regarder en arrière, il n’a pas à regarder du tout. Il doit donner. Ceci est à l’honneur de l’artiste qu’il est incapable de critique. S’il en était