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morales. Ce dernier point de vue est le mien. Pourtant je ne nie pas que dans beaucoup de cas une subtile méfiance à la façon du premier, c’est-à-dire dans l’esprit de La Rochefoucauld, ne soit à sa place et d’une haute utilité générale. Mais, moi, je nie la moralité comme je nie l’alchimie : et si je nie les hypothèses, je ne nie pas qu’il y ait eu des alchimistes qui ont cru en ces hypothèses et se sont basés sur elles. Je nie de même l’immoralité ; non que je nie qu’il y ait une infinité d’hommes qui se sentent immoraux, mais qu’il y ait en vérité une raison pour qu’ils se sentent ainsi. Je ne nie pas, ainsi qu’il va de soi en admettant que je ne sois pas un fou, qu’il faut éviter et combattre beaucoup d’actions que l’on dit immorales, de même qu’il faut exécuter et encourager beaucoup de celles que l’on dit morales ; mais je crois qu’il faut faire l’une et l’autre chose pour d’autres raisons qu’on l’a fait jusqu’à présent. Il faut que nous changions notre façon de voir, pour arriver enfin, peut-être très tard, à changer notre façon de sentir. » — Changer notre façon de voir et enfin notre façon de sentir. Par exemple il y a trois degrés dans l’acte dit héroïque ou simplement généreux : 1° Impulsion : se jeter à l’eau, sans la moindre réflexion, pour sauver quelqu’un. 2° Décision accompagnée d’un extrême plaisir : faire la même chose très délibérément,