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la plus énergique de l’égoïsme, la forme la plus énergique de l’exaltation du moi, mais qui détruit l’égoïsme dans le sens vulgaire du mot, qui détruit l’égoïsme de conservation, le seul que l’homme d’en bas comprenne et puisse comprendre. Par conséquent, « comparée à la nature vulgaire, la nature supérieure est la plus déraisonnable ; car l’homme noble, généreux, celui qui se sacrifie, succombe en effet à ses instincts et dans ses meilleurs moments sa raison fait une pause. Un animal qui protège ses petits au danger de sa vie, ou qui, lorsqu’il est en chaleur, suit la femelle jusqu’à la mort, ne songe pas au danger de la mort ; sa raison, elle aussi, fait une pause, puisque le plaisir que lui procure sa couvée ou sa femelle et la crainte d’en être privé le dominent entièrement. » Il devient plus bête qu’il ne l’est généralement. De même l’homme noble et généreux. Celui-ci éprouve quelques sensations de plaisir ou de déplaisir avec tant d’intensité que l’intellect devra se taire ou se mettre au service de ces sensations ; alors son cœur lui monte au cerveau et l’on parlera dorénavant de sa « passion »… ; c’est la déraison de la passion que le vulgaire méprise chez l’homme noble ».

Il y a bien des passions que l’homme d’en bas comprend et excuse ; mais ce sont celles qui ressortissent à l’égoïsme vulgaire, à l’égoïsme conser-