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sance. Il honore le puissant et, non le moins, celui qui a du pouvoir sur soi-même, qui s’y connaît à parler et à se taire, qui a plaisir à exercer contre soi sa sévérité et sa dureté, qui a le respect de tout ce qui est sévère et rigoureux. « Witan me plaça dans la poitrine un cœur dur », est-il dit dans une vieille Saga Scandinave[1]… Cette sorte d’hommes s’enorgueillit justement de n’être pas faite pour la pitié ; c’est pourquoi l’auteur de la Saga ajoute : « Celui qui n’a pas dès sa jeunesse un cœur dur ne l’aura jamais. » Des nobles et des braves qui pensent de la sorte sont aussi éloignés que possible de cette morale qui fait justement consister dans la pitié ou dans le fait d’agir pour autrui ou dans le désintéressement (en français dans le texte) le signe décisif de la moralité… Les puissants savent honorer ; c’est l’art où se déploie leur richesse d’invention. Respect pour la vieillesse et respect pour la tradition, double fondement pour eux de tout le droit. Une foi, une disposition d’esprit qui porte toujours favorablement les aïeux et défavorablement les nouvelles générations, voilà un vrai typique de la morale des puissants. Réciproquement, quand on voit les hommes des « idées

  1. Cf. Morale des esclaves : « Quand Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté. » (Boss.)