Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la morale universelle et uniforme. Ayant vaguement ce préjugé que les hommes étaient égaux et de même nature, ils ont eu cette idée que la même règle de vie leur devait être appliquée et était comme inscrite dans leurs cœurs à tous. Mais c’est une erreur sur une erreur. Les hommes ne sont pas égaux, ils ne sont pas uniformes, ils ne sont ni coulés dans le même moule ni animés du même esprit, et il y en a de grands et il y en a de petits, et il y en a qui sont capables d’une règle de vie et il y en a d’autres qui sont capables d’une autre règle de vie à laquelle les premiers ne sont pas propres, et l’insupportable impertinence de ceux qui sont coulés dans les petits moules est d’y vouloir faire entrer ceux qui sont trop grands pour y loger, et il en est en morale exactement comme en politique, et la sottise de l’égalité et la sottise de la morale universelle sont la même sottise.

En d’autres termes, si vous préférez, j’admets la morale, je la respecte même, mais je lui fais sa part ; je veux qu’elle règne et agisse là où elle est très bien à sa place et sur ceux qui sont faits pour elle, puisqu’ils l’ont faite ; je l’arrête là où son domaine cesse et à la limite au delà de laquelle elle devient inutile et bientôt nuisible. Je veux que, comme toute autre chose, elle ait son département, et non point, pour sa part, tout, ce qui est sa prétention.