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Devenere locos lœtos et amœna vireta…
Purior hic campos œther et liiminc vestit
Purpureo.


C’est le moment de la grande crise intellectuelle et même morale de Nietzsche, et tout son développement définitif a cette crise pour origine. Voulant se rendre compte des racines profondes de l’art tragique chez les Athéniens, des sources psychologiques de cet art, de l’état d’âme que cet art supposait chez ceux qui le pratiquaient, soit comme auteurs, soit comme interprètes, soit comme auditeurs, il se fait peu à peu toute une idée, fausse à mon avis, mais originale, intéressante et extrêmement féconde en conséquences, de l’âme grecque, du tempérament grec et de la race grecque, et cette idée il la caresse, et il s’en pénètre, et il s’en enivre, et il en fera tout un système philosophique, sociologique et moral ; et en vérité Nietzsche est tout entier dans les Origines de la Tragédie grecque.

À travers bien des gaucheries, bien des tâtonnements et bien des obscurités, voici l’idée sommaire que Nietzsche se fait de l’art tragique des Grecs et de l’âme grecque. Une race a été, qui n’aimait que la beauté et la vie. Elle aimait surtout la vie, la vie forte et surabondante, puissante et joyeuse, exaltée et triomphante. Et c’est ce qu’on peut appeler son âme