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frais d’entreprise et de revendre aussi cher que possible. — Le point essentiel, c’est que cet homme puissant promet de faire équilibre au brigand : les faibles voient en cela la possibilité de vivre. Car il faut, ou bien qu’ils se groupent eux-mêmes en une puissance équivalente, ou bien qu’ils se soumettent à un homme qui soit à même de contrebalancer cette puissance. On donne généralement l’avantage à ce second procédé, parce qu’il fait en somme échec à deux êtres dangereux, au premier par le second et au second par l’avantage qu’on lui assure ; car le protecteur gagne à bien traiter ceux qui lui sont assujettis pour qu’ils puissent et se bien nourrir et le nourrir bien. »

Voilà l’origine de l’État. Il n’y a rien là absolument de « moral » ; c’est un marché. Des hommes achètent une bête de proie pour s’en faire un défenseur. Ainsi l’on achète un chien de garde. Et il n’y a rien de plus naturel ni de plus légitime ; mais il n’y a absolument rien là de moral.

Mais encore allez un peu plus loin et remarquez que l’État est même une immoralité organisée, « Principe : les individus seuls se sentent responsables. Les collectivités ont été inventées pour faire des choses que l’individu n’a pas le courage de faire » et qu’il se fait scrupule, qu’il se fait conscience de commettre. « L’altruisme tout entier est un résul-