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sant de savoir ce qu’il en fait et, disons-le tout de suite pour plus de clarté, comment il le dénature absolument. Qu’est-ce que l’État en son principe ? Il est une ligue de défense contre un ennemi jugé puissant, dangereux et imminent. « La communauté est au début l’organisation des faibles pour faire équilibre à des puissances menaçantes… ou pour être supérieure à ces puissances menaçantes. » Le plus souvent cette organisation consiste simplement à se mettre entre les mains d’un homme puissant lui-même qui, en vérité, ne diffère aucunement de l’ennemi puissant dont on veut se défendre. « Le brigand et l’homme fort qui promet à une communauté qu’il la protégera contre le brigand sont probablement tous deux des êtres semblables, avec cette seule différence que le second parvient à son avantage d’une autre façon que le premier, c’est-à-dire par des tributs réguliers que la communauté lui paye, et non plus par des contributions de guerre. — Le même rapport existe entre le marchand et le pirate qui peuvent longtemps être le même personnage : dès que l’une des deux fonctions ne leur paraît plus prudente, ils exercent l’autre. Au fond, maintenant encore, la morale du marchand n’est qu’une morale de pirate plus avisée : il s’agit d’acheter à un prix aussi bas que possible, de ne dépenser au besoin que les