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plébéien ? C’est le contraire qui est avantageux. « Soyons médiocres et ne nous donnons pas la peine de devenir opprimés ». Ainsi raisonneront beaucoup d’hommes de mérite, et voilà l’espèce supérieure encore diminuée. Minimum de minimum.

Enfin restent, cependant, ceux-là, très peu nombreux, qui sont très supérieurs, qui ne peuvent se résoudre à cacher ou à étouffer leur supériorité, ou qui ne peuvent réellement ni la réprimer tant elle est forte, ni la cacher tant elle éclate. Mais ceux-ci, le plébéianisme n’est pas fâché qu’ils existent, parce qu’ils ne lui sont pas dangereux, vu leur petit nombre, et parce qu’ils sont pour lui matière de triomphe. Il faut qu’il existe des parias pour qu’on se sente classe dominante, et il faut qu’il y ait des opprimés pour qu’on ait le plaisir de se sentir oppresseurs. Croyez-vous que le plébéianisme français, très bienveillant, mais jaloux cependant de ses légitimes prérogatives, n’ait pas eu grand plaisir à voir Renan, Taine et Pasteur n’avoir aucune espèce d’influence dans l’État et n’être rien dans la Cité ? C’est la victoire même de la démocratie que le génie ait moins de droits chez elle que la médiocrité ou la sottise et par conséquent il faut qu’il y ait des hommes de génie pour qu’elle puisse goûter son triomphe à les