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sont purement et simplement supprimés. Leur pensée, leur sentiment, leur jugement, leur goût ne comptent pas. Ils sont sacrifiés. De sorte qu’il n’y a pas égalité entre tous les citoyens, il y a oppression des supérieurs par les inférieurs, des hommes d’élite par les « bêtes de troupeau » ou, si vous voulez, des exceptions par la moyenne. La démocratie supprime les exceptions. Elle organise l’oppression du plus petit nombre par le plus grand. Elle fait de « l’espèce supérieure » une caste de parias. Ce n’est pas du tout de l’égalité.

Mais précisément c’est bien ce que la Révolution voulait. Elle ne voulait au fond ni liberté, ni fraternité, ni même égalité. Elle voulait la souveraineté du plus grand nombre, c’est-à-dire l’oppression et par suite la suppression à bref délai de la haute classe, c’est-à-dire le plébéianisme pur et simple. La Révolution est le plébéianisme lui-même, à l’état le plus pur, le plus décisif et le plus conscient. « Ce fut la Révolution française qui plaça définitivement et solennellement le sceptre dans la main de l’homme bon, de la brebis, de l’âne, de l’oie et de tout ce qui est incurablement plat et braillard, mûr pour la maison de fous des idées modernes. »

Cela, bien entendu, au nom de la morale, de