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péché est un manquement envers lui et non envers l’humanité ! À celui à qui il a accordé sa grâce, il accorde aussi cette insouciance des suites naturelles du péché. Dieu et l’humanité [ou la cité] sont imaginés ici tellement séparés, tellement en opposition l’un avec l’autre, qu’au fond il est tout à fait impossible de pécher contre cette dernière. Toute action ne doit être considérée qu’au point de vue de ses conséquences surnaturelles, sans qu’il faille se soucier des conséquences naturelles : ainsi le veut le sentiment juif, pour lequel tout ce qui est naturel est indigne en soi. Les Grecs, tout au contraire, admettaient volontiers l’idée que le sacrilège lui aussi pouvait avoir de la dignité, même le vol, comme chez Prométhée… C’est dans leur besoin d’imaginer de la dignité pour le sacrifice et de l’y incorporer qu’ils ont inventé la tragédie, — un art et une joie, qui, malgré les dons poétiques et le goût du sublime qu’avait le juif, sont demeurés profondément étrangers à ce peuple. »

Cette morale, par d’autres chemins, comme nous l’avons annoncé, et sous des formes un peu différentes, nous la voyons naître chez les Grecs, aux temps socratiques, pendant que chez le juif elle reste à l’état stationnaire pour se déployer et se répandre torrentiellement plus tard. Chez les