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Les Grecs et les Romains sont donc de purs aristocrates et de purs immoralistes. Une espèce supérieure s’est formée, on ne sait pas très bien comment, sur un promontoire rocheux, sur sept collines dominant de vastes plaines ; elle a été le noyau d’une grande cité ; elle a attiré à elle de nombreux individus de l’espèce inférieure ; elle les a disciplinés, elle les a gouvernés et elle n’a jamais songé qu’à une chose : être forte, être grande et être belle, ce pour quoi elle s’est imposé et a imposé à ses serviteurs des sacrifices énormes et incessants. Voilà tout. Il n’y a pas une ombre de moralité là-dedans.

— Ils avaient une religion.

— Précisément. C’est très curieux. Ils avaient une religion ; mais c’était une religion toute de cité, toute consacrée à la cité, toute civique. Les dieux n’étaient qu’une espèce de Sénat céleste au-dessus du Sénat d’ici-bas et de Sénat immortel au-dessus du Sénat des humains. Les dieux étaient de la ville, citoyens supérieurs de la ville et protecteurs éclairés, sévères et un peu jaloux de la ville. C’étaient des aristoï olympiens. — Et cette religion était patriotique et elle était même comme le sanctuaire du patriotisme : mais, si elle contenait quelque morale, ce qu’il faut reconnaître, car il y a toujours des infiltrations, elle en contenait si peu