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deux formes diverses, et à peine diverses et à peine distinctes, d’une seule et même chose. Les Grecs, les Romains, ces créateurs de deux civilisations et, à eux deux, de toute civilisation connue, les Grecs, les Romains sont à la fois absolument aristocrates et absolument immoralistes. Vous ne nous parlerez pas de la démocratie athénienne, démocratie de quelques milliers de citoyens assise sur trois cent mille métèques et esclaves. Les Grecs et les Romains sont absolument aristocrates. Ils sont, aussi, absolument immoralistes. Ils ne connaissent qu’un devoir, le devoir envers l’État, et vous entendez bien que cela veut dire qu’il y a là une espèce supérieure qui ne connaît ni devoirs envers l’esclave ni envers l’étranger, ni envers le plébéien, ni envers la femme, et qui ne connaît pour devoir que celui de se maintenir, elle, elle qui est l’État, en santé, en force, en grandeur, en beauté et en capacité d’agrandissement et de développement infini.

Voilà toute la morale des Grecs et des Romains, et c’est-à-dire que les Grecs et les Romains n’ont point de morale. Il suffit de lire le De officiis de Cicéron, livre admirable du reste, encore que déjà il soit du commencement de la décadence, pour bien comprendre qu’un Romain ne connaît de devoirs qu’envers la patrie. À la vérité, ceux-là, il les connaît bien.