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attiédissement, de son endurcissement, parce qu’il a le sentiment de sa fin prochaine, la sagacité de cet instinct que les animaux ont avant la mort — ils se mettent à l’écart, deviennent silencieux, choisissent la solitude, se réfugient dans des cavernes, deviennent sages. — Comment donc ? La sagesse serait une cachette du philosophe devant l’esprit ? »

C’est de gens de cette espèce, dont les pires sont des impuissants venimeux et empoisonnés de leur venin ; dont les meilleurs sont des timides, des affaiblis et des malades ; et qui tous sont envieux ; que s’est faite, de tout temps, la grande armée de la morale. La morale, c’est le plébéianisme contre l’élite ; c’est la conspiration et la conjuration de tous les instincts lâches contre tous les instincts élevés et énergiques ; c’est un complot contre l’idéal, se donnant comme un idéal et réussissant, par je ne sais quels artifices d’esclave rusé, à se faire prendre au sérieux, à se faire vénérer par ceux contre qui il a été ourdi.

Les ruses d’esclaves dont nous parlons sont diverses. L’espèce inférieure exploite, par exemple, la pitié, qui est le sentiment le plus débilitant et le plus antisocial qui existe. Quand la pitié entre dans le cœur de l’espèce supérieure, celle-ci est perdue, et avec elle la nation, et avec elle une civilisation, et tout est à recommencer.