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plèbe, un peu par tout pays, a réussi à introduire le scrupule dans l’âme de l’élite, à faire dire à l’élite : « Il est possible que ce que je fais ne soit pas bien ; il est possible qu’il ne soit pas juste que je fasse du grand, du fort, du beau, par moi-même et aussi en y employant des gens qui n’y tiennent pas du tout. »

Le scrupule est une maladie, comme le repentir. Aussitôt que cette maladie s’est introduite, en quelque pays que ce fût, dans l’âme de l’élite, elle en a été stupéfiée, comme on est paralysé par un de ces poisons qui agissent sur les centres nerveux ; et peu à peu, à mesure des progrès de l’intoxication, elle a abdiqué, et l’instinct de médiocrité a remplacé peu à peu l’instinct de grandeur, et ç’a été comme une manière d’enlizement social.

Cette morale populaire, en voulez-vous comme un tableau en raccourci ? « La morale, où croyez-vous qu’elle puisse bien avoir ses avocats les plus dangereux et les plus rancuniers ? Voilà un homme manqué, qui ne possède pas assez d’esprit pour pouvoir s’en réjouir et qui a juste assez de culture pour le savoir. Ennuyé, dégoûté, il n’a que du mépris pour lui-même ; possédant un petit héritage, il est malheureusement privé de la dernière consolation, de la bénédiction du travail, de l’oubli